Baptême estudiantin, entre fantasme et réalité

Publié le par Shrapnel

Aujourd'hui, pas de cuisine. Je prends la plume pour la première fois depuis de longs mois afin de vous parler d'une expérience qui me tient à cœur...  Avez vous déjà remarqué, sur les parvis de vos universités, ou dans la rue, dans les cafés, de jeunes gens portant pancarte autour du cou, ou dans l'élégante position dite « gueule-en-terre » ?

 

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Le nez à un frifrelin du sol, bien entendu

 

Il s'agit des bleus et bleuettes. Et votre rédactrice en est une.

Comme chaque année, à la même période, les médias attaquent à bras raccourcis cette pratique séculaire, entre désinformation crasse et fantasmes délirants. Le secret (relatif) qui entoure la cérémonie proprement dite alimente clichés et laisse court à l'imagination. Il me semblait important de faire, en quelques mots une petite mise au point afin de démontrer que non, le baptême n'est pas une torture, que l'on retire tellement de choses de l'expérience … Qu'il ne faut surtout pas l'interdire.

 

Bien entendu, le baptême n'est pas pour tous. Il s'agit d'un jeu, plus ou moins long (de trois semaines à deux mois), plus ou moins intense selon les comités et les villes, éprouvant, mentalement et physiquement. N'allez pas croire qu'il faut être un rambo pour survivre à l'expérience, ou être foncièrement timide pour subir les ordres. Moi qui suis une grande gueule, j'ai découvert que je pouvais me fondre dans le jeu, suivre les règles, faire des choses que je n'aurais jamais faites auparavant (manger des crasses etc), et me dépasser physiquement. J'ai très vite su me glisser dans le moule. Ce n'est pas le cas de tout le monde, voici un témoignage que l'on vient de me transmettre - et qui devrait clouer le bec à ceux qui avancent que les non baptisés ou ceux qui abandonnent sont stigmatisés :

 

"Une expérience de baptême arrêtée.

 
Je viens apporter un plus à l'article de ma meilleure pote, en témoignant en tant que fossile, qui a arrêté après deux bleusailles (dites gentilles). Pourquoi, comment ? Un truc à savoir sur moi, je trouve le folklore génial, j'adore les chants, les traditions, la transmission du patrimoine. J'aime aller me recueillir près du monument aux morts le 11 novembre, j'aime la brabançonne (malgré mon antiroyalisme) et j'aime la Belgique (les gens, la culture, certaines parties du système de solidarité (ma foi pas encore assez bien organisé).
J'ai donc décidé en entrant en deuxième BAC histoire (ULG), de commencer mon baptême. 
J'aimais beaucoup les répétitions chants (j'en travaille encore de temps en temps sous ma douche haha), les bleusailles étaient dures physiquement (spécialement le canard) pour moi (et oui on est pas toutes endurantes et musclées, anti sport que je suis).

 
Un de mes gros problèmes c'est que je suis une pessimiste dans l'âme (avant même de commencer j'ai déjà raté), je suis bien souvent considérée comme blasée (même si je trouve le terme exagéré). Pourquoi avoir arrêté ? La fatigue, les cours, les nombreux travaux.
En effet après une bleusaille j'étais crevée, j'avais tout sauf envie de bosser, il me fallait longtemps pour récupérer. Etre fatiguée me déprime, donc je faisais plus rien et avais l'air encore plus blasée. C'était le début encore fallait-il y rajouter le rôle des parrains/marraines qui prennent énormément de temps. En fait mon arret c'est du manque de temps mélangé a ma personnalité de base. Ensuite j'avoue avoir du mal avec les gens, rien de personnel, mais c'est comme ça.

 
Conclusion, non le baptême n'est pas fait pour tout le monde, je pense niveau personnalité. Mais en aucun cas, je me suis sentie rejetée parce que j'ai arrêté. Il m'arrive de parler a des anciens co-bleus et de rire avec eux. Je fais toujours la bise aux gens que j'ai rencontré (même sans les connaître).
On ne m'a jamais fait de commentaire déplacé sur mon choix.
J'ai choisi, j'assume parfaitement avec parfois un pincement au coeur quand je les entends chanter."

 

Le baptême estudiantin s'étale donc sur le début de l'année académique et sa durée est variable. La vie du bleu est alors rythmée entre répet' chants (on y apprend les chants facultaires, les chants indispensables, le folklore en général), bleusailles (soirées d'épreuves pour le bleu dont les plus connues sont bleusailles parrainage ou roi des bleus), entraide, et étude.

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La cara, meilleure amie du bleu

 

En Belgique, le baptême est une pratique séculaire qu'il ne faut pas confondre avec le bizutage français. Les détracteurs du baptême, souvent fossiles (qui n'ont pas été baptisés durant leurs années d'études), ou bleus qui ont abandonné et n'ont pas vécu l'expérience en entier, rapportent souvent avec désapprobation la consommation abusive d'alcool.

Chez nous, le folklore est très important et la consommation d'alcool est loin d'être excessive. Si je fais une moyenne de canettes de bière vidées par bleusaille, je pense que je n’atteins pas les 5... Sur cinq heure, ça me semble raisonnable. Et encore, une cobleuette atteinte au pancréas a fait son roi des bleus au coca.

Nulle obligation donc, et toujours la liberté de partir.

 

L'utilité du baptême est multiple, au niveau humain: La création de liens sociaux qui dépassent le cadre normal. J'ai par exemple, fait la connaissance de gens que je connaissais déjà de vue et qui me semblaient inintéressants... Jamais je ne me serais intéressée à eux auparavant! Le baptême te permet de faire des rencontres sans jugement, sans hypocrisie, tu es toi même -dans la plupart des cas-. Et quand tu as subi des heures de gueules en terre, que quelqu'un te donne une gorgée de bière, te glisse un bonbon dans la main, que ton parrain ou un cobleu te donne un petit bout à manger ou te parle si la motivation flanche, tu ressens vraiment la reconnaissance. Tu apprends à apprécier les choses simples -un simple sourire, un simple « courage !» d'un comitard- , ou prendre un verre après une bleusaille, tu apprends l'humilité, tu retrouves la simplicité.


L'entraide est également un point central de l'expérience. Beaucoup avancent qu' « ils n'ont pas besoin de ça » pour se faire des amis. D'une part cet argument est méprisant pour des gens timides ou introvertis et qui éprouvent des difficultés à aller vers les autres, d'autre part il me semble faux. En tant que fossile, je possédais déjà un réseau d'amis bien établi avant de commencer le baptême. Les bleusailles permettent de créer des liens, avec une vitesse et une intensité que tu ne peux trouver ailleurs. On est tous dans la même merde, tous pareils, et la solidarité est primordiale.


Ensuite, l'existence d'un monde parallèle à l'Université, tout en restant très lié (célébration de l'Alma Mater, de nos sections d'études, etc), permet de décompresser et de s'amuser un coup, tout en restant proche du cadre universitaire... Qui connaît l'histoire de la Vierge Delcour ? Et du Toré ? Qui chante encore la Brabançonne, le Valeureux Liégeois, ou la chanson du Roi Albert ? Qui commémore Tchantches et Nanesse ? Quel est le but de la procession à la Saint Nicolas ? Ou bien encore la Saint Verhaegen à Bruxelles ?


Le folklore est l'élément central de la guindaille. C'est ce qui donne un sens supérieur au rite de passage et d'intégration. Le bleu qui est baptisé devient le poil ou la plume, c'est lui qui va alimenter la continuité du folklore, le faire connaître et le faire vivre. Bien sûr, sans folklore, le baptême n'est pas qu'un rite bibitif, l'apport personnel est déjà grand. Mais il permet d'ancrer la cérémonie dans la vie universitaire et dans l'histoire de la ville et des étudiants.

Quel plaisir d'entonner un chant avec 200 personnes qui le reprennent en cœur, main sur la poitrine! Quelle joie de chanter le Gaudeamus Igitur, l'un des plus anciens chants estudiantins européen (18ème siècle).

 

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Saint Verhaegen - Bruxelles

 

En effet, c'est difficile. Il faut gérer la fatigue, mentale et psychique. Il faut savoir tenir le coup, souffrir un peu - genoux en bouillie, bleus … Mais qu'est qu'un peu de courbatures en échange de l'apport humain ? La vie nous fera subir bien pire plus tard. Le baptême aide à relativiser, car ne l'oublions pas, c'est un jeu, un énorme jeu. Tout est à prendre second degré. La plupart des comitards, après les bleusailles, boivent et discutent avec nous d'égal à égal. 


L'on tente de développer en nous certaines valeurs, une forme de cohésion qui se fait bien plus vite que dans un tout autre cadre, dans la "vie normale". Mais en effet, il y a des cons comme partout qui déchargent leur frustration, mais ces derniers sont généralement surveillés par le comité, car les bleus sont importants pour la raison suscitée, et il ne faut pas les faire fuir.
Cependant, il est clair que le fonctionnement et les règles de ce rite ne conviennent pas à tout le monde. Alors certes si mon égo et mon orgueil, au départ, ont un peu souffert, je gagne tellement de choses de ce dépassement, de cette expérience humaine, que quelques courbatures ne sont rien au vu de ce que j'en retire. Finalement, chacun, avec son caractère et son physique, sort grandi d'une certaine manière de l'expérience. 

 

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Saint Toré

 

Le secret plus ou moins bien gardé fait partie de l'épreuve, tout comme l’appréhension et le stress. Il s'agit d'un combat interne perpétuel, pour se rappeler qu'il s'agit d'un jeu et que ce n'est pas la vie réelle. Il ajoute à l'épreuve. Et le dépassement est encore plus beau. Mon meilleur souvenir, à ce jour, est la force avec laquelle nous avons chanté nos chants sacrés à la fin d'une des bleusailles les plus longues et les plus éprouvantes. Tu ressens tellement de joie, de bonheur, un regain d'énergie énorme. Et là, ceux qui quelques heures auparavant te descendaient, te félicitent d'avoir tenu et te prennent dans leurs bras.

 

Alors oui, le baptême et ses pratiques peuvent sembler barbares, humiliants et cruels. Mais tout ce qui y est fait est plus que supportable. Le plus dur se passe dans la tête, et c'est pour ça que ces quelques semaines de galère resteront marquées en moi. Arrivée presque au bout de mon parcours, je ressens déjà la nostalgie. Nous avons passé deux mois à être le centre du monde, de notre monde, objets de préoccupations permanentes. 

Bientôt cette expérience sera finie, mais elle recommencera, je l'espère, d'une autre manière...

 

 

D'autres expériences de vieux et moins vieux :

 

"Aujourd’hui comme hier, n’en déplaise à certains qui pêchent par méconnaissance, le baptême universitaire est un rite d’initiation." Michel Péters, conseiller communal et Président d’Honneur de l’Association Générale des Etudiants Liégeois. Cliquez ici : link


      "Pourtant, moi aussi, j'ai été humilié, ivre, rasé et tondu. Paradoxalement, ce n'était certainement pas pendant les épreuves de mon baptême que j'ai le plus souffert, non, c'était durant celles de la vie. Malheureusement, celles de la vie, ne vous ramènent pas autant d'amis. Vous les perdez plutôt petit à petit. Tandis que pendant le baptême, haaaaaa, le baptême... c'est l'inverse, vous en gagnez." - Souvenirs d'un calottin, cliquez ici : link


NB : Bien entendu, il arrive des accidents dans les évènements estudiantins, comme la mort que nous déplorons tous, d'un jeune étudiant anversois à la Saint V.  Nous ne connaissons pas encore les circonstances précises de sa mort, mais si les médias se précipitent pour accuser l'alcool qui coule à flots en guindaille, j'ai envie de dire que de grandes fêtes comme le Doudou, le Carnaval de Binche, ou encore les Wallos sont de grandes beuveries et nul besoin d'être étudiant pour se bourrer la gueule.

NB II : Néoplume Amy, Baptisée Philo le 23/11/2011

 

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H
Ici une pro-baptêmes cite 1 mort. On sait bien qu'il y en a plus, et des viols. Aux USA c'est 1 mort par an pendant un siècle…Ce qui est étonnant en lisant ces lignes ce sont ces témoignages "battus et contents" je sais qu'il y a des clubs sado maso trés réputés, en lisant ces lignes on comprend.
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H
Eh ben dis donc ! Et toi, qu’est-ce qu’on t’a fait faire au juste ? Les organisateurs sont à fond dans leur truc à ce que je vois.
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N
Infliger des épreuves pour faire partie d'un "cercle" (jusqu'à boire du vomi !), on ne m'ôtera pas de l'esprit que c'est malsain.<br /> <br /> Que les anciens organisent des réunions pour se apprendre aux nouveaux à se connaître, c'est très bien. Il y a tant de façons intelligentes de passer du temps en société... Pourquoi chercher et/ou<br /> imposer des humiliations ? Quel intérêt d'en "baver" artificiellement ? Il n'y a pas suffisamment de vraies raison d'en baver dans la vie ? C'est du sadomasochisme pur et dur !
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E
Et bien moi, j'ai, lors de mon bref séjour à l'ULB, reefusé le baptême. Mal m'en a pris. J'ai subi des persécutions qui ont fait que j'ai abandonné mes études dès le mois de janvier. J'ai subi des<br /> insultes antisémites et homophobes !<br /> J'aurais sans doiute du lutter, mais j'étais déja fragilisé par la maladie de ma mère, maladie qui allait l'emporter quelques années plus tard. Mais il ne faut pas compter sur les comitards etles<br /> voyous des cercles pourtenir compte de çaà !
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M
Mon Baptême....mon plus beau souvenir de mon passage à l' UCL.<br /> <br /> Je l'ai fait à titre de défi personnel...pour comme toi voir si j'étais capable de me mettre dans un "moule" avec ma grande gueule et mon côté "je n'aime pas l'autorité".<br /> <br /> Une chose que j'ai apprise en bleusaille et qui me reste encore à l'heure actuelle: l'auto dérision et la solidarité.<br /> Deux choses qui me sont encore nécessaires dans mon boulot actuel !!<br /> <br /> Jamais je regretterai ce choix!<br /> <br /> Et pui ce sont des moments qui sont à jamais gravés :)
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